Dans quelles circonstances Malatraix a-t-il été écrit ?
J’ai écrit le roman Malatraix pendant un congé non payé de trois mois. Pour la petite histoire, j’avais demandé ce congé au printemps 2019 et mon employeur m’a donné son feu vert en décembre de la même année pour… le 1er mai 2020. Ce roman n’est donc pas un «roman du confinement» car, travaillant pour une collectivité publique, je n’ai pas eu une minute à moi pendant cette période. J’ai même repoussé mon congé de deux semaines pour aider à mettre en place la première phase de déconfinement. En riant, on me disait : «Maintenant, c’est ton tour de te confiner !»
N’est-ce pas risqué de choisir la pandémie comme cadre temporel ?
C’est plutôt la pandémie qui m’a choisie. Un soir d’avril, alors que je rentrais du travail à vélo, sous la pluie, en me disant qu’il était absurde de vouloir écrire une fiction vu les moments terribles que nous traversions, l’idée s’est imposée d’inscrire l’intrigue dans la réalité que je vivais. Par exemple, j’ai fait porter à certains de mes personnages l’angoisse d’une deuxième vague alors que tout le monde, autour d’eux, pensait que c’en était fini de ce virus.
Quelle place ont la Riviera vaudoise et le Chablais ?
J’ai grandi dans les hauts de Montreux, quasiment sous le pont de l’autoroute. À l’insu de mes parents, j’allais me promener dans les Gorges du Chauderon. L’endroit me faisait un peu peur et me procurait un délicieux frisson d’interdit. Au loin, les Rochers de Naye me paraissaient inaccessibles. Dans le roman, la beauté des paysages contrebalance aussi un peu la noirceur du propos, ils ne sont pas seulement menaçants mais interviennent comme une respiration, tel Lavaux, par exemple. Les lieux m’ont directement inspiré certaines scènes, en particulier Malatraix qui donne son titre au roman.
Qu’est-ce que Malatraix ?
Nicolas Bouvier disait que rêver sur une carte, c’est déjà faire un voyage. Moi, je laisse mon imagination vagabonder à partir des panneaux jaunes des chemins pédestres. Cela faisait longtemps que j’avais envie de parler de Malatraix, ce petit sommet au nom un peu mystérieux, en dehors des sentiers battus et pas si facile d’accès, qui surplombe Villeneuve. Pour connaître le rôle que joue ce lieu dans le roman, il faut lire le livre… Cet endroit continue de me fasciner.
Pourquoi le thriller ou le polar ?
Avant d’appartenir à tel ou tel genre, Malatraix, est d’abord un roman ancré dans une région, grosso modo de Lausanne à Château d’Oex, dans un terroir et dans une langue, le français de cette partie de la Suisse romande. L’air de rien, le polar au sens large permet aussi de s’interroger sur le mal, la fuite du temps, la force du désir et la fragilité de la vie. Et cela faisait longtemps que je voulais réparer une forme d’injustice en mettant en lumière les policiers locaux, qui sont parmi les grands oubliés de ce genre de littérature.
Le roman fait la part belle aux femmes, est-il féministe ?
Grande lectrice de polars et de romans noirs, je suis souvent frustrée de la place faite aux femmes. Quand elles ne sont pas inexistantes, ce sont souvent des personnages stéréotypés aux comportements prévisibles. Heureusement, c’est en train de changer avec des auteures comme Marie-Christine Horn, Hannelore Cayre, Karine Giébel ou Sandrine Collette. Je voulais des personnages féminins de premier plan qui soient volontaires et pugnaces comme peuvent l’être les femmes. J’avais aussi envie d’écrire sur le désir et le plaisir vus par des personnages féminins et de distiller un érotisme qui ne soit pas centré sur l’homme. Alors oui, il y a une dimension féministe dans ce roman. Plus généralement, j’ai voulu des personnages en phase avec le canton de Vaud tel que je le connais, à savoir une société à la fois multiculturelle, métissée et revendiquant son parler et son terroir suisse-romand.
L’écriture, c’est une vocation tardive ?
J’ai écrit mon premier roman à l’âge de 45 ans mais j’écris depuis que je sais tenir un crayon. J’ai passé une bonne partie de ma vie à rédiger des textes, que ce soit comme journaliste ou en travaillant dans la communication. J’écrivais pour les autres, pas «pour moi». Formée à l’Agence télégraphique suisse, une agence de presse, j’y ai appris la rigueur mais aussi l’espace de liberté qu’on peut s’aménager à l’intérieur d’un cadre strict. Il m’a aussi fallu faire un long chemin pour m’autoriser à faire une chose aussi «inutile» qu’écrire une œuvre de fiction.